FIM : « Certaines entreprises ont fermé temporairement, car elles n’ont plus de métaux à usiner »
Par Mehdi Arhab | Le | Énergie environnement
Philippe Contet, directeur général de la fédération des industries mécaniques, assure que les mesures destinées à protéger les sidérurgistes européens contre les importations d’Asie n’ont plus lieu d’être. Au risque de voir de nombreuses PME des industries mécaniciennes mettre la clé sous la porte, la Fim réclame un changement d’approche des pouvoirs publics et de Bruxelles pour protéger le secteur.
Quelles sont les difficultés auxquelles les industries mécaniciennes sont confrontées ?
La sidérurgie européenne n’arrive plus à répondre aux besoins et la guerre en Ukraine n’est pas l’unique explication à cela. Nous sommes toujours en situation post-crise sanitaire Covid. Des hauts fourneaux avaient quasi-fermé au début de la pandémie, car la demande avait chuté drastiquement. La remontée en puissance a été par la suite lente et nous faisons face à des difficultés d’approvisionnements. Que ce soit pour l’automobile ou le bâtiment, deux des grands secteurs clients pour la sidérurgie, les marchés sont caractérisés par un nombre réduit de type de produits métallurgiques. Les nuances en nombre sont faibles, en revanche cela représente des volumes importants sur chacune des nuances. Lorsque les usines sidérurgiques tournent, elles fonctionnent préférentiellement là où elles n’auront pas à changer les réglages de leur ligne de production. De ce fait, l’automobile et le secteur du bâtiment souffrent d’une hausse de prix, mais pas d’une pénurie à proprement parler.
La sidérurgie européenne est protégée par des mesures de sauvegarde sur les aciers, qui ont été mis en place en 2018, à un moment où cela se justifiait. Mais aujourd’hui, elles ne sont plus légitimes
Concernant le marché de la mécanique, nous nous retrouvons dans une situation compliquée, car ce ne sont pas sur nos nuances et nos produits que la sidérurgie va concentrer sa production. À la suite de la guerre en Ukraine, nous n’avons pas eu la possibilité d’importer des aciers de Russie, de Biélorussie et d’Ukraine. Le secteur est scindé en deux filières, avec d’une part la filière primaire et la deuxième, du nom de seconde fusion, qui s’attache à récupérer les déchets métalliques des usines, qui sont ensuite mis dans des fours électriques. Or, pour cette filière, des usines ferment parce que le prix de l’énergie est trop élevé. Les sidérurgistes viennent à fermer certaines usines, justifiant que les prix des produits à la sortie seraient trop importants. En outre, la sidérurgie européenne est protégée par des mesures de sauvegarde sur les aciers, qui ont été mises en place en 2018, à un moment où cela se justifiait. Mais aujourd’hui, elles ne sont plus légitimes.
Pouvez-vous décrire ces mesures ?
Ces mesures de sauvegarde ont été mises en place en 2018, lorsque Donald Trump, alors président des Etats-Unis, avait décidé d’augmenter les taxes d’importation sur les aciers chinois de façon radicale. L’Europe avait alors pris peur que la Chine se retourne vers elle et inonde le continent de son acier qu’elle produisait sans pouvoir le vendre aux Etats-Unis. Les mesures de sauvegarde sont des quotas par type de produit, en tonnage, qui ont été élaborés sur la base des flux d’importations en 2016. Pour chacun des produits, il avait été regardé quels étaient les volumes d’importation de l’époque, de manière à ne pas accepter de dérive par rapport à ces volumes. Si le seuil est dépassé, une surtaxe de 25 % est appliquée.
L’effet pervers de ce système est que les quotas et les seuils ne sont pas regardés au moment de la commande des produits, mais au moment de leur livraison. Pourtant, aujourd’hui les délais de livraison ont fortement augmenté, ce qui implique que lorsque nous commandons une quantité de matières premières, de métaux hors UE, nous n’aurons pas accès au produit avant huit à dix semaines. Il est de fait impossible pour nous de savoir où nous en serons sur les seuils.
Or, pour la mécanique, de nombreuses PME n’achètent pas l’acier directement hors UE et se fournissent auprès de distributeurs présents sur le marché européen. Ces mêmes distributeurs ne veulent pas s’engager sur un prix de l’acier, qui est déjà fortement en hausse, ne sachant pas si au moment où ils vont importer le produit, ils devront s’acquitter d’une taxe supplémentaire de 25 %. Et cela crée une forme de pénurie.
En payant la matière première plus chère que nos concurrents chinois, ces derniers seront capables de proposer des produits similaires à de meilleurs prix
Quels sont les risques qui planent sur le marché avec le maintien de ces mesures ?
Les prix des métaux en Europe sont largement supérieurs à ceux de la Chine. Nous aurons inévitablement un problème à l’exportation, parce qu’en payant la matière première plus chère que nos concurrents chinois, ces derniers seront capables de proposer des produits similaires à de meilleurs prix. Nous risquons de nous retrouver face à un manque de compétitivité criant du fait de la hausse des prix. Derrière, il faut faire la part des choses entre les prix très élevés et le risque de pénurie. La pénurie empêche les usines de tourner et de fournir les équipements commandés. Tout cela est fâcheux par rapport à ce qui peut se faire dans les pays asiatiques, voire les Etats-Unis qui bénéficient d’un marché de l’acier et de la sidérurgie moins chers.
Quel est votre rôle dans ce contexte ?
Le rôle de notre organisation professionnelle est d’informer la puissance publique des difficultés de notre secteur. Nous avons participé à une réunion avec les conseillers économiques à l’Élysée dernièrement et nous tenons des réunions régulièrement avec le cabinet du ministre de l’Industrie. Notre cri d’alarme a permis de rappeler que nous sommes dans une situation difficile et que si rien n’est fait, une multitude d’entreprises mécaniciennes, qui sont le plus souvent de petites entreprises, souffriront de cette situation. Des milliers d’emplois sont menacés.
Les pouvoirs publics ne veulent pas prendre de risques pour protéger le secteur mécanicien au détriment de la sidérurgie
Les différentes échéances électorales ont-elles rendu votre tâche difficile ?
Bien sûr, bien qu’elle ait bien intégré nos problématiques et la situation réelle, nous avons besoin d’une puissance publique libre de ses mouvements, afin d’insister sur telle ou telle orientation. Les élections font que les équipes ne savent pas si elles seront encore en place prochainement. Cette situation ne nous aide pas, car les pouvoirs publics ne veulent pas prendre de risques pour protéger le secteur mécanicien au détriment de la sidérurgie. De notre côté, nous tentons de leur expliquer qu’il ne faut pas protéger, au-delà du raisonnable, le secteur de la sidérurgie aux dépens de la mécanique.
Bruxelles ne souhaite pas agir, invoquant que cela est compliqué. Pourtant, ce n’est pas difficile d’augmenter les quotas
Que préconisez-vous ?
Nous ne pouvons pas protéger un secteur, alors que ce même secteur n’est pas en mesure de fournir nos entreprises. Certaines entreprises ont même fermé temporairement, car elles n’ont plus de métaux à usiner. Nous craignions à terme que le phénomène soit bien plus grave et que des entreprises ferment définitivement. Mais Bruxelles ne souhaite pas agir, invoquant que cela est compliqué. Pourtant, ce n’est pas difficile d’augmenter les quotas.
Nous avions déjà réalisé une démarche similaire au milieu de l’année 2021, car nous faisions face à des problématiques de prix et les quantités disponibles sur le marché étaient insuffisantes. Nous avions demandé une levée temporaire des mesures, sans succès. La sidérurgie a assené qu’en retirant les quotas, le risque de fermeture de hauts-fourneaux en Europe était trop élevé. Mais Bruxelles va devoir changer son fusil d’épaule, parce que les entreprises mécaniciennes risquent d’être les premières victimes de la situation. C’est aussi simple et dramatique que cela.
Les industries mécaniques en quelques chiffres :
Les industries mécaniques sont représentées par 10 600 entreprises de plus de 10 salariés. La majorité du secteur est portée par des PME. Les industries mécaniques sont en outre le premier employeur industriel en France, avec 591 000 salariés. En 2021, elles ont affiché un chiffre d’affaires de 133,8 milliards d’euros, soit une augmentation de 11 % versus 2020 ; une année bien entendu particulière pour le secteur compte tenu de la pandémie et confinements successifs.