Derrière Chanel, 14 grands donneurs d’ordres des cosmétiques TRASCE leurs approvisionnements
Par Mehdi Arhab | Le | Environnement
Autour de Chanel, plusieurs grands acteurs de l’industrie des cosmétiques ont uni leurs forces, dans un consortium baptisé TRASCE, pour cartographier plus précisément leurs chaînes d’approvisionnement. Un projet d’envergure qui engage évidemment l’ensemble des fournisseurs de rang 1 et pour lequel les membres fondateurs nourrissent des ambitions extrêmement importantes.
Chanel, L’Oréal, Estée Lauder, Christian Dior ou encore Clarins, voilà des noms du luxe et des cosmétiques qui parlent. Et pas qu’un peu. Leur union récente avait de quoi faire causer, pourtant, son annonce, officialisée à la fin du mois de janvier, n’a pas fait la Une des grands titres économiques français et n’a pas attiré l’attention du grand public. Le sujet est pourtant crucial, l’initiative notable et pas des moindres.
Sous l’impulsion de Chanel, quinze acteurs* de l’industrie des cosmétiques se sont unis pour améliorer sensiblement la traçabilité de leur chaîne d’approvisionnement des composants clés des formules et des emballages de la filière. Une alliance à grande échelle qui réunit les marques précédemment citées, mais aussi d’autres grands acteurs du secteur comme Shiseido, L’Occitane en Provence, Nuxe, Sisley ou encore le Groupe Pochet, industriel spécialisé notamment dans la fabrication de parfums pour l’industrie des cosmétiques.
Appuyée par la FEBEA, la fédération des entreprises pour la beauté, le consortium s’engage dans la transformation des pratiques de la filière. Mais pour ce faire, faut-il encore être en mesure d’établir un état des lieux solide pour définir des plans d’amélioration continue qui font sens. « L’enjeu final de notre alliance est de transformer les filières via des plans d’actions concertés entre donneurs d’ordre et fournisseurs », nous explique Julien Garry, directeur international du développement innovation et des achats de Chanel.
Les risques et la réglementation comme boosters
Cette union, baptisée TRASCE pour TRaceability Alliance for Sustainable CosmEtics, constitue une réponse aux enjeux fondamentaux des donneurs d’ordre du secteur. Sa gouvernance a été définie de manière collective par les quinze membres fondateurs du consortium. Les droits de vote sont uniformément répartis, quelle que soit la taille ou la typologie (fournisseur ou marque) de l’entreprise. Du reste, si le premier objectif était « de poser rapidement des fondations solides avec les membres fondateurs, de faire adhérer leurs fournisseurs et de trouver la meilleure gouvernance possible », le consortium ne cache pas son désir, à terme, de s’étendre. « Nous accueillerons volontiers d’autres marques et fournisseurs de l’industrie cosmétique pour qu’ils rejoignent l’initiative en tant que membres réguliers, selon les conditions définies dans le contrat de consortium », commente Julien Garry.
Le consortium TRASCE démarre d’un constat : les chaînes de valeur de l’industrie sont longues et complexes. Nous estimons de façon hypothétique un rapport de 1 à 100 entre le nombre de fournisseurs de rang 1 et de dernier rang (extraction ou culture), d’où l’intérêt d’une démarche collective de l’industrie
Les situations de rupture et de pénurie, liées à la crise Covid, aux perturbations climatiques et aux multiples tensions géopolitiques, ont poussé les membres du consortium à presser le pas et revoir leur approche en profondeur. « Le consortium TRASCE démarre d’un constat : les chaînes de valeur de l’industrie sont longues et complexes. Nous estimons de façon hypothétique un rapport de 1 à 100 entre le nombre de fournisseurs de rang 1 et de dernier rang (extraction ou culture), d’où l’intérêt d’une démarche collective de l’industrie », retrace Julien Garry.
Par ailleurs, à l’heure où le législateur se veut plus pointilleux et se montre (beaucoup) plus pressant, élaborant des lois réellement plus astreignantes, les acteurs industriels n’ont finalement plus d’autre choix que de se mettre en ordre de marche. Sans quoi, c’est leur viabilité qui sera remise en cause. « Le renforcement de la réglementation publique, locale et internationale, à l’instar de la Directive Européenne sur le Devoir de vigilance ou du Règlement Européen contre la déforestation et la dégradation des forêts, ont mis en exergue la responsabilité des premiers donneurs d’ordre », constate Julien Garry.
Il était donc de fait devenu pour les géants du secteur plus qu’obligatoire de penser une méthodologie commune afin de creuser et d’approfondir leur compréhension des filières qui les entourent. « La démarche de traçabilité des chaînes d’approvisionnement entreprise par TRASCE reste progressive et nécessite l’engagement de l’ensemble des fournisseurs de rang 1. La priorité reste de les engager dans une démarche de transparence en sélectionnant les filières les plus stratégiques pour chacun de ses membres », soutient d’ailleurs Julien Garry.
Nous voulons avec ce consortium faire progresser le secteur de l’industrie cosmétique dans son ensemble en mettant en place des filières plus durables
C’est pour les membres du consortium une manière, aussi, de mieux appréhender et piloter les risques sociaux et environnementaux associés et accompagner leur transition vers un modèle durable et robuste de leur supply chain amont. Et ce n’est pas une mince affaire tant elles sont complexes. « Nous voulons avec ce consortium faire progresser le secteur de l’industrie cosmétique dans son ensemble en mettant en place des filières plus durables. Et cela passe nécessairement par un alignement complet du secteur de la cosmétique autour d’une définition de ce qu’est la traçabilité ; une précision des indicateurs de suivi et de ladite traçabilité des chaînes de valeurs aussi loin que possible », décrit Julien Garry.
Des initiatives individuelles insuffisantes pour réellement changer d’échelle
Tous à leur échelle, dont Chanel, se sont heurtés à d’importantes difficultés au moment de tenter de cartographier leur chaîne d’approvisionnement. Pour le directeur des achats de la maison Chanel, qui s’appuie sur sa propre expérience, les limites de l’exercice sont telles qu’il était préférable d’unir ses forces avec d’autres grands noms du marché pour gagner en précision sur le sujet.
À l’échelle individuelle, il peut être très difficile pour les donneurs d’ordre de mobiliser les fournisseurs à faibles volumes d’achat. La force de TRASCE est de mutualiser ces demandes entre donneurs d’ordre afin d’obtenir des volumes suffisants
Au demeurant, tout seul on va (peut-être) plus vite, mais ensemble, on va plus loin, d’autant plus quand il est question d’embarquer ses fournisseurs de rangs éloignés - avec lesquels les échanges sont évidemment limités - dans une démarche dite vertueuse. « À l’échelle individuelle, il peut être très difficile pour les donneurs d’ordre de mobiliser les fournisseurs à faibles volumes d’achat. La force de TRASCE réside dans sa capacité à mutualiser ces demandes entre donneurs d’ordre afin d’obtenir des volumes suffisants pour convaincre lesdits fournisseurs de déclarer leurs informations », expose Julien Garry, qui poursuit.
« En mutualisant les efforts de chacun afin de cartographier les chaînes d’approvisionnement de l’industrie, le consortium sera en mesure de déterminer des actions à mettre en place pour accompagner la transition sociale et environnementale des filières. Ce travail collectif est à la fois un facteur de simplification, avec une entrée unique des informations par les fournisseurs, et un outil d’accélération de la transition. Cette dynamique commune est sans aucun doute plus puissante qu’une accumulation de démarches individuelles ».
Un outil commun pour rendre la chose réelle et concrète
En matière d’outil, là aussi les membres du consortium se sont engagés à travailler main dans la main. Ils recourront à une plateforme digitale commune portée par ISN, Transparency-One, pour assurer la traçabilité de leur supply chain amont. Cette plateforme est déjà utilisée et est très appréciée de plusieurs grands acteurs de l’industrie automobile et agroalimentaire. Et comme l’a indiqué Julien Garry, les fournisseurs n’auront plus à communiquer leurs informations à de multiples reprises, puisque la plateforme leur offre l’opportunité de le faire qu’une seule et unique fois. Une aubaine.
L’expérimentation faite par Chanel et Estée Lauder de l’outil, couplée aux bilans positifs qu’ils en ont tirés, ont conforté le choix des membres fondateurs. À terme, le consortium entend parvenir à consolider son approche collective de l’analyse des risques RSE liés, pour interpréter les données collectées et définir donc des plans de progrès communs.
En parallèle, certains membres du consortium vont continuer d’entreprendre des démarches individuelles de traçabilité qui sont complémentaires et « qu’il ne faut pas opposer », clame Julien Garry. Clarins en est un exemple, avec sa plateforme de traçabilité des filières végétales basée sur la technologie blockchain, Clarins T.R.U.S.T, lancée l’année dernière.
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* En plus de Chanel, Albéa, Clarins, Cosfibel powered by GPA Global, Dior, The Estée Lauder Companies, Groupe Pochet, L’Occitane en Provence, L’Oréal Groupe, Merck, Neyret, Nuxe, Sensient, Shiseido et Sisley ont intégré le consortium.