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Les Achats « supply chain », un levier de performance pour Heineken France

Par Mehdi Arhab | Le | Supply chain

Cet article est référencé dans notre dossier : Les acheteurs indirects se mettent en ordre de marche pour juguler l’inflation

Pour éviter à Heineken France de subir de lourdes pénalités de ses clients grands distributeurs, la direction des achats attache une importance toute particulière au pilotage de la relation avec les transporteurs. Et alors que le groupe néerlandais promet d’être net zéro carbone en 2040, le transport représente pour l’entreprise un excellent moyen d’atteindre cet engagement. Explications détaillées de Damien Robillon, directeur des achats d’Heineken France.

Damien Robillon, directeur des achats France d’Heineken  - © D.R.
Damien Robillon, directeur des achats France d’Heineken - © D.R.

Heineken n’est pas qu’un nom mondialement connu gravé sur de petites bouteilles ou des canettes vertes, il est bien plus. Malgré un bénéfice net en baisse sur un an de 19,3 %, à 2,7 milliards d’euros en 2022, le groupe brassicole néerlandais a enregistré sur son dernier exercice fiscal quelque 35 milliards d’euros de chiffre d’affaires, en (forte) hausse de 30 %, dont un peu plus de 2 milliards en France. De quoi lui permettre de consolider sa deuxième place an rang des plus gros brasseurs à l’échelle mondiale ; le géant de la bière absorbant près de 10 % des parts de marché en volume, derrière le belge Anheuser-Busch InBev et devant le danois Carlsberg. 

Principal acteur du secteur avec Kronenbourg en France, avec lequel il se dispute la place du plus gros brasseur du pays, Heineken commercialise des marques phares, et conçoit également une très large gamme de produits ; les bières Heineken bien-sûr, Amstel aussi, sans oublier Desperados, Fischer, Affligem, Gallia ou encore Pelforth qui constituent certaines des marques les plus emblématiques du groupe. Le mastodonte emploie un peu plus de 3 700 salariés en France, dont 1 300 opèrent pour Heineken Entreprise. Le reste des effectifs œuvre côté distributeur, au sein de France Boissons, filiale d’Heineken France depuis 1987. Celle-ci fournit plus de 6 000 références à plus de 45 000 établissements, dont 30 000 cafés, hôtels et restaurants, et compte 71 centres de distribution partout sur le territoire.

Les achats, un vecteur de développement et de robustesse 

Dans l’Hexagone, Heineken concentre son précieux savoir-faire dans ses trois brasseries établies à Schiltigheim, en Alsace, à Mons-en-Barœul, dans le nord de la France et à Marseille. La direction des achats d’Heineken France, pilotée par Damien Robillon, administre quelque 670 millions d’euros de dépenses. Au cœur de son portefeuille, des achats directs, dont les principales familles sont les matières premières et le packaging (bouteilles, canettes, fûts et multi-pack), ainsi que diverses catégories d’achats indirects. Au sein de ce spectre, qui représente 370 millions d’euros de dépenses, le transport, la logistique, MRO, l’énergie, la communication (Média et PLV) et les professional and business services (IT, FM & Travel) occupent une place de choix.

Tout ce qui était produit à Schiltigheim le sera dans nos deux autres brasseries. Il faut donc, sur les deux prochaines années, les équiper en capacité de production, ce qui nécessite d’importantes dépenses d’investissement.

Sur ce périmètre, les achats dits de supply chain (transport, logistique, MRO et d’énergie en partie) pèsent par exemple 90 millions d’euros. « Les achats transport incluant notamment l’activité de France Boissons comptent pour 50 millions d’euros et une trentaine de millions d’euros sont dédiés à l’achat d’énergie, à savoir de l’électricité et du gaz naturel », précise le directeur des achats. À cela s’ajoute également une large part de capex prévue pour accompagner le plan de transformation des brasseries de Mons-en-Barœul et de Marseille qui fait suite à l’annonce de la fermeture du site de Schiltigheim à la fin 2025. Pour les Achats, la course contre-la-montre est lancée et s’annonce intense. « Tout ce qui était produit à Schiltigheim le sera dans nos deux autres brasseries. Il faut donc, sur les deux prochaines années, les équiper en capacité de production, ce qui nécessite d’importantes dépenses d’investissement. L’agenda innovations produits du groupe est très fourni et nous devons pouvoir livrer nos clients sans encombre durant la période », expose Damien Robillon.

La feuille de route pensée par Damien Robillon, qui s’articule autour de cinq grands axes (Croissance, Savings, Développement Durable, Digitalisation et Équipe), engage dans un premier temps les Achats à soutenir très fortement le plan de croissance d’Heineken France. La direction des achats est un véritable bras armé de l’entreprise qui lui assure la sécurité des approvisionnements. Le directeur des achats d’Heineken France l’explique ici, en exposant deux exemples. « L’année dernière, nous craignions un black-out et de voir ainsi nos brasseries ne plus être alimentées en énergie, notamment en gaz. Pour pallier d’éventuelles coupures, nous avions sécurisé des chaudières mobiles en location. Pour ce qui concerne le transport, nos clients grands distributeurs nous infligent de lourdes pénalités si nous ne livrons pas leurs plateformes logistiques en temps et en heure. De fait, cela nous oblige à animer très finement notre réseau de transporteurs et à s’appuyer sur des KPI solides pour garantir une haute performance. »

Les transporteurs, des prestataires (plus que) stratégiques 

Pour concrétiser le pilotage de ses relations avec les partenaires transport de l’entreprise, la direction des achats organise chaque année avec la direction logistique une plénière lors de laquelle elle les convie tous. Un rendez-vous qui se tient au mois de mars et qui prend les airs d’une convention grandeur nature. « Nous leur présentons les challenges auxquels Heineken doit répondre, le plan de marche de l’entreprise sur l’année et les objectifs fixés. C’est aussi un excellent moyen de rappeler à nos partenaires transporteurs à quel point ils sont importants à nos yeux et stratégiques dans notre activité », développe Damien Robillon.

Pour ce dernier, le meilleur moyen de leur rappeler leur importance est aussi de les payer en temps et en heure. Les Achats y mettent un point d’honneur et se sont efforcés, avec le hub comptabilité d’Heineken France, à améliorer les délais de paiement. « Après avoir rencontré des difficultés, nous nous sommes très largement améliorés. Nous nous fixons un objectif de payer 96 % de toutes nos factures en temps et en heure. » Outre cette question de conformité et d’éthique, l’urgence climatique et la décarbonation des opérations d’Heineken animent Damien Robillon et ses 25 acheteurs. La soutenabilité est en effet un sujet d’ampleur pour lui et ses équipes. Il est d’ailleurs inscrit en bonne position dans la roadmap achats, parfaitement alignée avec le plan de marche d’Heineken qui a signé l’initiative SBTI. Heineken est le premier brasseur au monde à franchir l’étape environnementale de l’approbation par ce référentiel SBTI, avec ses objectifs 0 net et FLAG (Forest, Land and Agriculture). Le groupe s’est en ce sens engagé à décarboner l’ensemble de ses sites de production d’ici à 2030 et l’ensemble de sa chaîne de valeur à l’horizon 2040. Une démarche dans laquelle les Achats sont évidemment pleinement impliqués.

Depuis deux mois, nous avons aussi lancé un projet de biomasse pour notre brasserie de Mons qui nous permettrait de réduire de plus de 70 % les émissions carbones du site.

Un travail conséquent a d’ores et déjà été entrepris pour rendre les brasseries d’Heineken en France plus économes en ressources. Celle de Mons-en-Barœul en est un symbole. « Les achats d’énergie sont un bon moyen d’avancer rapidement en matière de décarbonation. Nous approvisionnons désormais nos sites de production en biométhane, avec des garanties d’origine certifiée, illustre d’abord Damien Robillon. Depuis deux mois, nous avons aussi lancé un projet de biomasse pour notre brasserie de Mons qui nous permettrait de réduire de plus de 70 % les émissions carbones du site. »

Une démarche difficile à amortir …

Mais quand bien même cette démarche est significative, elle n’est pas suffisante pour atteindre la neutralité carbone. Le transport constitue un autre levier d’action majeur, puisqu’il pèse pour 19 % des émissions de GES de Heineken. Ainsi, la direction des achats demande à ses partenaires de se positionner sur des motorisations alternatives et de s’engager dans des démarches écoresponsables. Une requête qui implique bien évidemment de lourds investissements pour les transporteurs, qui doivent intégrer également la hausse des prix des molécules.

Notre pari est de payer plus cher aujourd’hui, d’absorber une partie du surcoût, et de compter sur le fait que ce surplus s’amenuise demain

Et la direction des achats en a pleinement conscience. Elle s’engage en effet à les soutenir et les appuyer. « Nous leur avons demandé de chiffrer précisément le surcoût auquel ils doivent faire face, il est de notre devoir d’agir ainsi. Le biocarburant coûte de 4 à 15 % plus cher que le diesel et l’électrification est elle aussi plus onéreuse. La décarbonation, et nous le savons tous, n’a rien de neutre économiquement. Nous l’acceptons. Notre pari est de payer plus cher aujourd’hui, d’absorber une partie du surcoût, et de compter sur le fait que ce surplus s’amenuise demain », explique Damien Robillon.

La direction des achats impose ainsi dans ses appels d’offres un certain pourcentage de biocarburants à utiliser, sans oublier la dimension multimodale qui a elle aussi pris de du poids. Désormais, dès lors qu’un transporteur propose une énergie alternative, il est fort probable que la direction des achats le privilégie au détriment des transporteurs qui tablent encore sur les énergies fossiles. Et au regard de la législation qui se fait de plus en plus pressante, d’autres grands chargeurs pourraient imiter (ou imitent déjà) Heineken.

Nous intégrons désormais 23 % de multimodal dans nos opérations transport

« Ceux qui ne seront pas au niveau attendu vont voir leur carnet de commandes fondre comme neige au soleil et risquent de disparaître. C’est le sens de l’histoire », prédit Damien Robillon, qui précise : « Nous intégrons désormais 23 % de multimodal dans nos opérations transport et nous poussons tous nos prestataires de transport à adopter une part de carburants alternatifs (HVO, B100..) qui permettent de réduire jusqu’à 80 % des émissions. Encore une fois, il est dans notre rôle, en tant que donneur d’ordre, d’imposer une marche à suivre. Nous devons faire office de locomotive et entraîner toute la chaîne dans notre sillage ».

… Mais la performance n’est pas qu’une affaire de chiffre

C’est en interrogeant notre plan transport et en réduisant les distances parcourues que nous parviendrons à concilier plus facilement l’impératif économique et l’impératif écologique

S’il semble donc bien difficile de dégager des gains de performance économique, Heineken n’a pas d’autre choix que de poursuivre sa marche vers la décarbonation. Des engagements ont été pris et il n’est bien entendu pas question pour le groupe de faire volte-face en niant la réalité du réchauffement de la planète. D’ailleurs, pour Damien Robillon, plutôt que de se concentrer sur la réalisation de savings là où il ne peut y en avoir pour le moment, il faut tenter d’acheter aux meilleures conditions possibles voire, ne pas acheter du tout. Une approche qui nécessite de repenser tout le schéma transport du groupe et d’optimiser les parcours des flux. « Le prix d’achat n’est pas le seul à compter, nous devons faire les choses plus intelligemment. C’est en interrogeant notre plan transport et en réduisant les distances parcourues que nous parviendrons à concilier plus facilement l’impératif économique et l’impératif écologique. » 

Reste désormais aux Achats de s’assurer que les transporteurs respectent bien leurs engagements. « Le plus difficile pour nous est de s’assurer que nos prestataires utilisent bien des biocarburants sur lesquels nous nous sommes entendus. Il nous faut trouver un moyen d’obtenir des attestations formelles ou d’origine garantie. Cela est important de pouvoir prouver ce que nous faisons », explique Damien Robillon. Mais tout ne s’arrête pas là pour la direction des achats d’Heineken France. Alors que le test d’un camion à hydrogène sur une longue distance est prévu pour 2025, elle est également en action pour moderniser la flotte dont est propriétaire le distributeur France Boissons. L’objectif : l’électrifier en masse dans les quelques années à venir. 

France Boissons a ainsi reçu 20 camions électriques cette année et en attend 30 de plus en 2024. Toutefois, il n’est pas impossible que pour renouveler la flotte de 700 porteurs de la filiale d’Heineken France, la direction des achats opte pour un mode locatif en partie. « Nous n’avons pas encore assez de recul pour investir en notre nom. De fait, nous nous orientons pour l’instant sur de la location, de manière à nous constituer une expérience sur cette technologie et pouvoir ensuite sélectionner le modèle le plus adéquat, à savoir continuer à former une flotte en propre ou adopter définitivement le leasing », déroule Damien Robillon.

Biographie :

Damien Robillon est directeur des achats France d’Heineken France depuis avril 2018. Il rapporte hiérarchiquement au président d’Heineken en France, Pascal Gilet, et est membre du comité de direction sur la géographie. Il est également rattaché, fonctionnellement cette fois, au directeur des achats transatlantique du groupe, qui rapporte pour ce qui le concerne au directeur des achats groupe, Hervé Le Faou.  

Damien Robillon a entamé sa carrière en 2002 au sein du groupe brassicole, en débutant comme acheteur industriel et supply chain pour la brasserie Fischer en Alsace. Il a ensuite gravi les échelons, devenant successivement responsable achats des sites en Alsace et acheteur industriel et supply chain senior. Basé à Paris, son périmètre de responsabilité touche alors l’ensemble des brasseries d’Heineken en France. En 2008 il devient responsable achats matières premières. Cinq ans plus tard, il plie bagages pour Amsterdam et évolue comme global category lead buyer sur les familles d’achats énergie, produits chimiques et pièces détachées. Ses nouvelles fonctions l’ont amené à se déplacer dans de nombreuses contrées, notamment à Singapour, au Brésil et dans quelques pays d’Afrique.