Stratégie ha

Jimmy, ou l’art de consacrer une fonction achats naissante au service d’un projet industriel relevé

Par Mehdi Arhab | Le | Direction ha

Jimmy, jeune startup qui prévoit de concevoir des générateurs thermiques pour alimenter les industriels en chaleur décarbonée, entre dans une phase cruciale de son histoire. Pour poursuivre sur sa lancée, la jeune pousse a donné vie à son service achats. Et en peu de temps, les Achats, menés par Clément Parque, se sont fait une place et sont totalement associés aux décisions du schéma industriel du groupe.

L’équipe de Jimmy, pépite française du nucléaire  - © D.R.
L’équipe de Jimmy, pépite française du nucléaire - © D.R.

Il n’y a pas que dans la production d’électricité que la fission nucléaire peut se rendre utile. Bien que contesté ici et là, l’atome, listé par l’Union européenne parmi les énergies utiles à la transition écologique, a sans doute encore de beaux jours devant lui. Preuve en est avec la startup industrielle française Jimmy. Fondée en 2020, cette jeune pousse, qui emploie une cinquantaine de personnes, s’est mise en ordre de marche pour concevoir des générateurs thermiques qui se fondent sur des microréacteurs à très haute température (HTR), d’une puissance de 10 ou 20 MW. Ces générateurs, grâce à la fission nucléaire justement, engendreront alors de la chaleur totalement décarbonée. Une aubaine pour les acteurs industriels - de l’agroalimentaire, de la chimie et autres - qui pourraient à terme, avec cette technologie novatrice, se débarrasser définitivement de leurs chaudières à gaz ou au fioul.

En plus de ne donner lieu à aucune émission de CO2 donc, elle n’émet aucune fumée. En remplacement des sources de chaleur polluantes (provoquant aussi de mauvaises odeurs), le générateur thermique façonné par Jimmy permettra, selon les estimations, d’éviter quelque 350 000 tonnes de CO2 sur l’ensemble de sa durée de vie, à savoir une vingtaine d’années. Ce dispositif, grand de 20 mètres, garantira également aux industriels qui y recourront un approvisionnement en énergie à un prix stable indépendant du cours des matières premières.

Comment intégrer l’Industrie dans la stratégie nationale de décarbonation ?

Pour rappel, en 2019, le ministère de la Transition écologique indiquait que le secteur manufacturier était le troisième plus gros émetteur de CO2 dans l’Hexagone, générant 19 % des émissions de gaz à effet de serre (GES). Si une importante décrue a déjà été amorcée, la révolution ne doit pas (et ne peut) s’arrêter là, d’autant que la France s’est imposé des objectifs des plus ambitieux : atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Un projet qui implique de diviser, purement et simplement, par six les émissions de GES sur son territoire par rapport à 1990.

Un dispositif technologique habile 

Le HTR, pour High Temperature Reactor, désigne un type de réacteur différent des réacteurs nucléaires à eau pressurisée des centrales nucléaires françaises. Le fluide caloporteur n’est pas, comme à l’accoutumée, de l’eau sous pression, mais de l’hélium ; le modérateur, rôle également joué par l’eau dans les centrales de Jimmy, est du graphite ; le combustible, l’uranium, lui, ne change pas. En cas d’arrêt et/ou d’augmentation significative de la température, le graphite assure la sûreté car il permet le stockage puis l’évacuation passive de la chaleur résiduelle et étouffe pour finir le réacteur. La technologie se démarque ainsi par sa physique qui rend le réacteur impuissant en cas de complication.

Plusieurs pays, comme le Japon, les États-Unis et la Chine, ont industrialisé et exploitent ce type de réacteur. Toutefois, il n’est que peu employé pour produire de l’électricité, pour des raisons de volumétrie notamment. En revanche, pour une application à la chaleur industrielle, cette technologie profite de deux atouts de choix : des propriétés de sûreté évidentes donc et une température générée plus élevée que d’ordinaire ; le générateur pouvant délivrer une température avoisinant 550° (contre un peu plus de 300° pour un réacteur à eau). 

Naissance d’un service achats dans une startup industrielle audacieuse

Jimmy ne part donc pas d’une feuille blanche pour bâtir son joyau. La startup s’appuie sur des briques technologies éprouvées et (bien) connues désormais. Un gain de temps absolument considérable pour la petite firme qui a d’ores et déjà stabilisé et agencé son process industriel ; la première phase réglementaire auprès de l’Autorité de Sûreté Nucléaire est arrivée en fin d’instruction. Reste maintenant à l’entreprise de mettre sur pied sa vitrine, à savoir son premier de série, et à structurer sa supply chain. Avant, l’espère-t-elle, de passer “à l’échelle”. La startup, labellisée FrenchTech 2030, candidate de l’appel à projets France 2030 lancé par le président de la République, peut se satisfaire d’avoir déjà obtenu près d’une vingtaine de lettres d’intention. Un industriel s’est même engagé à acquérir sa solution et Jimmy espère le livrer en 2026. 

Le groupe a par ailleurs bouclé deux levées de fonds afin de matérialiser au plus vite ses ambitions de développement. Le premier tour de table, permettant à la startup de rassembler 2,2 millions d’euros, a été opéré au début de l’année 2022 auprès d’Eren Industries, Noria, Otium Capital, Polytechnique Ventures et de business angels. La deuxième levée de fonds, de 15 millions d’euros, a été effectuée en fin d’année dernière, auprès de ce même pool de fonds qui la soutient. C’est dans ce contexte bouillonnant que Clément Parque, 29 ans, a été recruté en mars dernier pour articuler la fonction achats naissante du jeune champion du nucléaire tricolore. Une occasion unique pour ce dernier, qui n’atterrit pas non plus dans un monde qui lui est totalement inconnu.

Lorsque le design du dispositif et le rétroplanning ont été affichés, la gouvernance de l’entreprise a senti le besoin de structurer un service achats pour concrétiser rapidement son projet.

Il jouit en effet d’une solide expérience en tant que consultant en achat (KLB Group et Vulcain Engineering) pour de grands spécialistes énergétiques, tels que GRDF, Air Liquide, GE Steam Power, ou encore TotalEnergies. Pour mener à bien sa mission, Clément Parque, qui rend compte à Antoine Guyot et Mathilde Grivet, cofondateurs de Jimmy, s’est entouré d’une acheteuse et d’un alternant-acheteur. Le recrutement d’un nouvel élément est déjà prévu pour étoffer encore les rangs des Achats. « Lorsque le design du dispositif et le rétroplanning ont été affichés, la gouvernance de l’entreprise a senti le besoin de structurer un service achats pour concrétiser rapidement son projet. Le groupe a atteint un tel niveau de maturité technique qui lui faut presser le pas. Nos ingénieurs sont passés par de grands groupes et tous ont travaillé en binôme avec des acheteurs. Ils avaient eux aussi fait part de ce besoin, pour qu’on leur libère du temps de travail et car, pour bien acheter, il leur fallait un service achats  », retrace le responsable des achats groupe. 

Des achats au gré de l’avancée du projet industriel

Compte tenu de la taille de l’équipe et, surtout, du modèle (actuel) de l’entreprise, il est pour Clément Parque loin d’être nécessaire d’harmoniser l’expertise achats autour du category management. Les enjeux achats sont, comme il le rappelle, avant tout calqués sur ceux de la startup et de son projet. De ce fait, l’approche du patron des Achats repose sur une gestion proactive en mode projet et ce, selon l’importance et/ou la criticité des achats. « Nous fonctionnons en gestion de projet, la conception du premier de série n’étant pas encore finalisée. Nos acheteurs sont amenés à et doivent intervenir sur différents sujets. Il est difficile de penser category management pour le moment et ce n’est, je dois l’avouer, pas une priorité de structurer l’organisation de la sorte. La question se posera une fois que le groupe aura développé son portefeuille clients et industrialisé sa technologie », explique-t-il. Comme cela, Clément Parque permet aussi à son équipe de toucher à de nombreux sujets, d’échanger avec différents prescripteurs et, d’une certaine manière, de ne pas se perdre dans une forme de monotonie.

Clément Parque, responsable des achats de Jimmy - © D.R.
Clément Parque, responsable des achats de Jimmy - © D.R.

Les achats réalisés au sein de Jimmy répondent dans tous les cas à un besoin spécifique lié à la conception du générateur : prestation de conseil de cabinets spécialisés, matériels, matériaux ou encore équipements. Et si de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer le fait que les compétences n’ont pas toujours été entretenues comme il le faudrait, le talent français en matière de nucléaire demeure et le jeune groupe ne se fait pas prier pour l’employer. Un peu plus de 90 % de ses fournisseurs et prestataires se trouvent sur les terres de France et de Navarre. « Certains marchés de niche se trouvent néanmoins loin de nos bases et nous ne pouvons nous en priver », précise Clément Parque. La startup, qui limite ainsi l’empreinte carbone de sa chaîne d’approvisionnement, anime un tissu industriel pointu, participe à sa survie, son (re)développement et profite de sa position de donneur d’ordre pour valoriser les innovations durables qui éclosent.

La relation fournisseur, clé de voûte pour devenir compétitif

Outre la définition de la politique, des stratégies d’achat et des process qui en dépendent, le premier objectif de Clément Parque avait été de contractualiser les achats de l’entreprise, en formalisant les conditions de la prestation, les obligations et les responsabilités de chacun. Une tâche qu’il a exécutée avec des avocats, pour s’assurer de la robustesse des contrats, lesquels portent le plus souvent sur de très longue durée. Avec ses contrats longs de plusieurs années, Jimmy offre davantage de visibilité sur ses investissements et son plan de charge à ses partenaires stratégiques, renforçant, par la même occasion, son attractivité auprès d’eux. « Les stratégies d’achat sont des stratégies d’entreprise. Elles ont des effets sur l’ensemble du groupe, son plan de marche, les métiers, la Finance, les RH - via le recrutement d’acheteurs - et, surtout, l’ingénierie, ainsi que sur l’écosystème. Nous voulons permettre à Jimmy de devenir complétif et lui assurer la sécurité de sa chaîne d’approvisionnement, a fortiori dans un marché qui peut se révéler extrêmement tendu », illustre Clément Parque.

Nous voulons, par les achats, créer un socle industriel sur lequel le groupe pourra s’appuyer dans la durée. Nos fournisseurs actuels doivent être ceux qui nous suivront demain

En définitive, ce dernier pense « entreprise élargie ». Il entend d’ailleurs développer des relations équilibrées, équitables avec ses fournisseurs pour faire jaillir des innovations de tout premier ordre. Une approche qui fait évoluer les relations de Jimmy avec son panel vers des partenariats resserrés, exigeants et orientés sur la qualité. « Nous voulons, par les achats, créer un socle industriel sur lequel le groupe pourra s’appuyer dans la durée. Nos fournisseurs actuels doivent être ceux qui nous suivront demain. C’est une volonté marquée de la gouvernance et je la partage complètement. Les fournisseurs nous apportent de la valeur, du savoir, soutient Clément Parque. Ils sont nos alliés et entretenir des relations de qualité avec eux constitue un avantage concurrentiel certain. Lorsque nous produirons à l’échelle, ils y trouveront forcément leur compte ».

Cette approche partenariale, Clément Parque la partage également avec ses prescripteurs. Bien accueilli lors de son entrée en fonction, il se fond dans la masse et tente de saisir chaque spécificité technique des prestations et produits à acheter. Il a aussi, dès son arrivée, élaboré un plan de communication achats interne et externe, pour asseoir d’une part l’image des Achats auprès des ingénieurs en interne et, d’autre part, celle de l’entreprise auprès de la filière du nucléaire. « Nous sommes là pour aider nos prescripteurs, non les contrôler. Et pour les aider, nous devons les écouter, les comprendre et parler leur langage. Parler avec eux plusieurs heures durant, en amont, nous fera toujours gagner un temps précieux pour la suite. C’est ainsi que nous pourrons les accompagner dans la définition de leur besoin et prouver que nous sommes incontournables ».

Nous œuvrons sur un marché très spécifique, dans lequel le codéveloppement est de coutume. Lorsque les ingénieurs échangent avec de potentiels fournisseurs, le besoin n’est pas encore dessiné. Il n’y a dès lors aucun problème à ce que nous rentrions en jeu peu après

Preuve de cette bonne volonté, le suivi de chacun des marchés s’opère avec les ingénieurs, lesquels tissent d’ailleurs, suivant le désir du responsable des achats, le premier contact avec les potentiels prestataires et fournisseurs. Un choix qui pourrait étonner mais qui, à l’aune des particularités du secteur, peut aisément se comprendre. «  Cela ne nous empêche en rien d’être bien positionné et d’intervenir en amont. Il ne faut pas oublier que nous œuvrons sur un marché très spécifique, dans lequel le codéveloppement est de coutume. Lorsque les ingénieurs échangent avec de potentiels fournisseurs, le besoin n’est pas encore dessiné. Il n’y a dès lors aucun problème à ce que nous rentrions en jeu peu après. Le plus important pour nous est de ne pas complexifier la relation entre le donneur d’ordre et le fournisseur », expose le responsable des achats.