Groupe Rocher : « Nous choisissons d’établir des relations partenariales sur le long terme »
Par Mehdi Arhab | Le | Direction ha
Florence Waliczek, directrice des achats indirects du Groupe Rocher, revient sur la manière dont ses équipes se mobilisent pour travailler avec des fournisseurs qui répondent au mieux aux besoins de ses clients internes. Un zoom passionnant sur les principaux leviers à utiliser pour y parvenir. Elle sera Grand Témoin de l’atelier sur l’attractivité lors des HA ! Days Indirects et Sauvages des 7 et 8 octobre à Deauville.
Quels sont les grands chantiers qui ont animé votre première année comme directrice des achats indirects ?
Il a été décidé au cours de l’année 2023 de rattacher la direction des achats indirects du Groupe Rocher à la direction Finance & Légal, pilotée par Laurent Delaurière, tandis que la direction des achats directe est restée sous la responsabilité des Opérations, menées par Vincent Taglioni. Au-delà d’assurer les missions classiques des Achats, notamment en matière de recherche de performance économique ou de sourcing, nous avons fait face à une première année particulièrement riche et intense dans un contexte de conduite du changement. Cette dernière s’est opérée aussi bien au niveau organisationnel qu’au niveau des outils. L’objectif étant pour nous d’accompagner de manière efficace les orientations stratégiques définies par le comex. Il nous a donc fallu nous adapter, autant dans notre manière de penser que dans notre façon d’opérer et de piloter nos actions.
Le Groupe Rocher est présent dans plus de 100 pays à travers ses 8 marques et différentes entités. J’ai profité de cette année pour créer une communauté achats monde avec un rattachement fonctionnel des acheteurs locaux. Nous avons à cette occasion organisé un séminaire achats qui nous a permis de créer du lien et de faciliter les échanges entre acheteurs indirects.
Au niveau des outils, le groupe a déployé la méthode OKR (NDLR : objectives and key results). Cette stratégie de gestion et de pilotage favorise la définition d’une suite d’objectifs ambitieux à court et moyen terme, permettant ainsi de créer un alignement et un engagement autour d’ambitions concrètes et mesurables. Comme l’ensemble des métiers du groupe, nous avons défini les OKR des achats indirects qui, une fois validés, ont été déployés et exécutés.
Nous avons également renforcé le processus de note de conjoncture publié par les Achats à différents moments de l’exercice budgétaire. Dans un environnement toujours plus complexe, il est important de consolider le pilotage stratégique des dépenses pour gagner en capacité d’anticipation, mieux gérer les risques et optimiser les coûts.
À quels enjeux devez-vous répondre et quelle est la feuille de route de votre organisation ?
Les orientations stratégiques du groupe pour les années à venir s’articulent autour de trois grandes priorités : améliorer la rentabilité du groupe ; respecter nos engagements financiers ; et enfin préparer l’avenir, en particulier en adressant les enjeux environnementaux et sociaux au cœur de notre mission. Notre feuille de route a pour ambition de répondre à ces objectifs. Nos OKR sont d’ailleurs structurés autour de ces trois piliers. Le premier concerne la recherche de performance, économique, de trésorerie, mais aussi la chasse aux inefficiences en termes de process ou aux dépenses inutiles ou non indispensables.
Nous ne nous contentons pas simplement de mener de nouveaux appels d’offres et de renégocier les prix proposés par nos fournisseurs. Nous veillons à challenger les besoins de nos prescripteurs, leur manière de dépenser et, si cela s’y prête, leur proposer des alternatives pour éviter des achats qui n’ont pas lieu d’être. Le deuxième pilier est relatif à la notion d’attractivité, traduit sous deux angles : l’attractivité du groupe auprès de nos partenaires fournisseurs et l’attractivité du groupe auprès des talents. Le dernier pilier se rapporte quant à lui à la RSE.
Quels sont les leviers à disposition des Achats pour travailler avec les meilleurs fournisseurs ?
Il n’est pas tant question de parler de bons ou de mauvais fournisseurs, beaucoup proposent d’excellents services et produits compétitifs, mais bien de travailler avec les fournisseurs qui répondent le mieux aux besoins internes
Il n’est pas tant question de parler de bons ou de mauvais fournisseurs, beaucoup proposent d’excellents services et produits compétitifs, mais bien de travailler avec les fournisseurs qui répondent le mieux aux besoins internes. Le but est avant tout de devenir les clients préférentiels de ces fournisseurs qui partagent nos valeurs et notre culture.
Concernant les leviers qui peuvent être actionnés, ils sont nombreux. Certains choisiront d’augmenter leur volume de dépense et d’activité auprès de fournisseurs qu’ils considèrent comme stratégiques. Mais cela n’est pas toujours possible, d’autant plus dans le contexte inflationniste actuel. De notre côté, nous choisissons d’établir des relations partenariales sur le long terme, de collaborer sur des innovations et des initiatives RSE conjointes. Nous avons en ce sens institué avec nos partenaires stratégiques une gouvernance optimisée, permettant d’établir des points de contact clairs afin d’adresser efficacement ce qui doit l’être et de partager - chacun, nous comme eux - nos informations, nos attentes et notre vision.
Notre travail de simplification des process doit aussi leur être bénéfique, que ce soit au moment de l’appel d’offres, de la contractualisation, de l’onboarding et du run. La digitalisation constitue par ailleurs un autre levier permettant d’améliorer l’expérience fournisseurs.
Comment et sur quelle base identifiez-vous vos partenaires stratégiques ?
Les stratégies achats que nous définissons avec nos prescripteurs nous permettent de clarifier leur position. C’est ainsi que nous les identifions et que nous pouvons les segmenter comme il se doit. Cette analyse, adossée à la matrice de Kraljic, nous a permis d’identifier le poids stratégique de nos différentes familles d’achats et de les classifier. Les critères de sélection liés à la qualité, au service, à leurs engagements RSE, à l’innovation, au cost and cash, viennent ensuite affiner la segmentation de notre panel fournisseurs et nous dire qui sont nos partenaires stratégiques.
Quelles sont vos attentes à leur égard et comment mesurez-vous leur performance ?
Nous nous engageons à leurs côtés et nous en attendons de même de leur part. Il n’est pas question de simples transactions commerciales, mais bien de création de valeur commune et de rapports équilibrés. Toutes nos relations partenariales doivent se caractériser par un fort niveau de transparence, des initiatives de co-constructions.
Pour mesurer leur performance, nous nous basons sur un outil qu’on appelle Daisy, qui prend la forme d’une marguerite (traduction du mot en français) et qui permet de faire un état des lieux de ce qui fonctionne et ce qui doit être amélioré
Pour mesurer leur performance, nous nous basons sur un outil qu’on appelle Daisy, qui prend la forme d’une marguerite (traduction du mot en français) et qui permet de faire un état des lieux de ce qui fonctionne et ce qui doit être amélioré. Cela concerne tous les points que nous voulons adresser : la gestion de la relation, la qualité, le service, la RSE, l’innovation, la compliance, le cost and cash … En retour, eux aussi mesurent notre performance à travers le même outil.
Nous ne comptons pas encore de scorecard, mais nous souhaitons les développer en 2025, qu’elles soient co-construites et customisées avec chacun de nos partenaires stratégiques pour y inclure des KPI qui leur seront utiles. Ces scorecards ne doivent pas être un simple outil de mesure de la performance d’un fournisseur, mais bien d’une relation bilatérale.
Comment se traduisent vos relations de travail avec eux ?
Nous avons beaucoup à apprendre de nos partenaires
Au-delà de l’activation des leviers business dont je vous parlais précédemment, nous essayons d’entretenir des relations humaines de qualité avec nos fournisseurs stratégiques. Nous avons beaucoup à apprendre de nos partenaires. Et nos partenariats ne doivent pas s’inscrire dans une simple relation transactionnelle ; la dimension humaine doit également être prise en compte. Nous sommes une entreprise à mission et portons des valeurs fortes, notamment en matière de RSE. Et cela se traduit aussi dans le pilotage de la relation fournisseurs.
Pour renforcer nos liens avec nos partenaires, nous organisons des journées d’immersion, baptisées les « Waouh Days » à La Gacilly, berceau de l’entreprise et où la marque Yves Rocher est profondément ancrée. Nos fournisseurs stratégiques sont invités à plonger dans notre ADN, à découvrir l’histoire du groupe et son savoir-faire. Cette journée doit leur permettre de vivre une expérience unique et authentique afin de mieux appréhender notre histoire, nos valeurs et nos enjeux. Nous prévoyons tout un tas d’activités en ce lieu identitaire : une balade dans notre jardin botanique, une visite de nos champs où nos plantes sont cultivées en agriculture biologique et en agroécologie, de l’atelier de distillation des eaux florales et de notre musée.
Une convention ESG est aussi organisée cette année par la direction Finance & Legal. Cet événement, qui a lieu en septembre et se répétera chaque année, rassemble différents partenaires du groupe, dont nos fournisseurs les plus stratégiques. Elle a pour objectif de démontrer la singularité du groupe et rappeler ses ambitions en matière de RSE.
Et de façon individuelle ?
Nous leur avons pour la première fois adressé un questionnaire de satisfaction. Nous voulons recueillir leurs retours, voir ce qui fonctionne bien et ce qui peut être amélioré. Cette initiative se répétera elle aussi et sera à terme déployée auprès d’un plus grand nombre de fournisseurs.
Les business reviews, somme toute plus classiques, constituent aussi une bonne occasion de faire le point, de partager les actualités et les ambitions de chacun et d’établir des plans d’actions communs d’amélioration continue.
Les instances de gouvernance dont je vous parlais sont par ailleurs essentielles. Elles regroupent un ou plusieurs membres des Achats, le métier, ainsi que les représentants de nos partenaires. Selon l’importance de la dépense auprès dudit fournisseur, de la catégorie et de ses enjeux, cette instance se réunit plus ou moins régulièrement pour faire le point quand le besoin se fait ressentir.
Avez-vous un moyen de savoir si vous êtes l’un des clients préférentiels de vos fournisseurs stratégiques ?
Être associé à un groupe comme le nôtre représenté par des marques historiques aux valeurs fortes peut être perçu par certains comme une chance. Notre image et nos engagements nous aident et sont des atouts en termes d’attractivité
Il est compliqué d’en être certain, c’est à eux de le dire mais cela se perçoit bien souvent à travers nos interactions et le niveau de collaboration, de réactivité ou encore les ressources allouées à notre compte. Être associé à un groupe comme le nôtre représenté par des marques historiques aux valeurs fortes peut être perçu par certains comme une chance. Notre image et nos engagements nous aident et sont des atouts en termes d’attractivité.
Nous avons toujours veillé à développer des relations équilibrées avec l’ensemble de nos fournisseurs, qu’ils soient stratégiques ou non. Mais je n’ai pas l’arrogance de penser que nous sommes le client préférentiel de chacun
Ce que je note par ailleurs, c’est que les résultats des questionnaires que nous avons récoltés sont excellents. La culture achats du groupe est celle de la collaboration, de l’écoute, de la bienveillance, de la transparence et du dialogue. Nous avons toujours veillé à développer des relations équilibrées avec l’ensemble de nos fournisseurs, qu’ils soient stratégiques ou non d’ailleurs. Mais je n’ai pas l’arrogance de penser que nous sommes le client préférentiel de chacun. Ce que je peux assurer, c’est que nous mettons tout en œuvre pour l’être et nous améliorer.
En définitive, qu’est-ce qui vous paraît être le plus décisif pour entretenir des relations fluides avec vos fournisseurs ?
Ce n’est pas en changeant de partenaires chaque année que nous pourrons créer des relations solides
La transparence et la communication me paraissent primordiales. Si ce que nous partageons n’est pas authentique, la relation est vouée à l’échec. Il est encore une fois question de relation humaine. Il faut parvenir à toucher du doigt ensemble les objectifs de chacun et trouver des compromis si besoin. Et sans discussion, c’est tout bonnement impossible d’entretenir des relations sur le long terme. Ce n’est pas en changeant de partenaires chaque année que nous pourrons créer des relations solides et devenir des clients de premier plan de nos fournisseurs.
Le Groupe Rocher en quelques mots :
Entreprise familiale d’origine bretonne, le Groupe Rocher est actif sur les marchés de la cosmétique, de l’entretien de la maison et de l’habillement, avec une activité allant de la recherche et développement, la culture, la production jusqu’à la commercialisation. L’entreprise, née en 1959, est représentée par huit marques, les plus emblématiques étant Yves Rocher et Petit Bateau. La rentrée 2023 avait marqué un tournant de taille pour le groupe après des années de moins bien en raison de la pandémie de Covid. Le comité exécutif du Groupe Rocher avait ainsi été remanié en profondeur « pour assurer une plus grande agilité opérationnelle et poursuivre la transformation de l’entreprise », avec trois nominations clés. Jean-David Schwartz est devenu directeur général exécutif du groupe, Guillaume Darrousez a pris la tête d’Yves Rocher et Alexandre Rubin avait été nommé à la tête de Petit Bateau. Le groupe est présent dans 110 pays, emploie près de 15 000 personnes et a enregistré près de 2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires sur son dernier exercice fiscal.
La direction des achats indirects du Groupe Rocher présentée en quelques lignes
L’organisation achats indirects du groupe est matricielle et est structurée autour d’une équipe achats centrale d’une quinzaine de personnes qui établit les stratégies d’achats. Celle-ci est rattachée hiérarchiquement à Florence Waliczek et organisée en trois pôles : opérations, profesional services & l’IT/marketing. Le premier couvre les achats logistique, transport, énergie et le mailing. Le deuxième administre les achats liés aux services généraux, à l’entretien des bâtiments, le travel, les achats retail, la PLV, les centres d’appels et certaines prestations intellectuelles (honoraires). Le dernier pôle traite les achats IT (software, hardware), marketing et communications. À cela s’ajoutent quelques équipes achats en région, notamment aux USA où le Groupe Rocher est très présent via sa marque Arbonne.