Les achats de prestations intellectuelles à l’épreuve du télétravail
Par Guillaume Trecan | Le | Prestations intellectuelles
Les membres du cercle de réflexion sur les achats de prestations intellectuelles Brapi se sont penchés sur la manière dont le télétravail modifiait leur approche. La pratique pourrait apporter plus de souplesse, utile pour attirer les talents en tension et des opportunités en termes de coûts.
Selon une étude Coface publiée en juin 2021 une entreprise peut réaliser en moyenne 7 % de gains sur ses coûts de main d’œuvre si un emploi sur quatre est délocalisé. Autant dire que le sujet ne peut être ignoré par les responsables achats de prestations intellectuelles qui contractent avec des ESN qui, elles, n’ont pas attendu pour en tenir compte dans leur politique RH. Selon Coface, 37 % des emplois sont compatibles avec le télétravail en Europe en moyenne, soit 160 millions d’emplois qualifiés sur 300.
L’écart de TJM entre Paris et province s’efface
Jusqu’ici, comme le rappelle François Tourette, le fondateur de Brapi (Benchmark des responsables achats de prestations intellectuelles), le différentiel de TJM entre Paris et la province pour une ESN était estimé autour de 15 %. Mais la possibilité de télétravail a changé la donne, au moins en ce qui concerne les profils en tension. C’est ce que confirme un donneur d’ordres basé à Lille, qui constate désormais que les prestataires des Hauts de France sont désormais chassés par les donneurs d’ordres parisiens, ce qui réduit l’écart de TJM entre paris et province mais crée une concurrence à l’achats pour les donneurs d’ordres locaux.
Un autre donneur d’ordres présent dans la salle confirme tirer son épingle du jeu et avoir aligné les TJM des ressources des ESN selon qu’elles travaillent sur site ou en télétravail, en les alignant à la baisse. Un même alignement avec une même logique baissière s’applique sur les TJM des ressources basées en province ou à Paris.
Cette négociation suit quoi qu’il en soit les propres politiques RH des ESN. Capgemini et quatre autres ESN majeures imposent ainsi à ce donneur d’ordres leurs mesures de télétravail aux trois cinquièmes avec l’argument que c’est une nécessité pour ne pas voir fuir les talents.
D’une contrainte sanitaire à un gain de souplesse
Pour Jean-Marc Orange, directeur achats indirects d’Eramet (1,8 milliard d’euros d’achats et 400 personnes), le télétravail est moins apparu comme une opportunité qu’une contrainte. Il s’est imposé dans la gestion des achats de prestations intellectuelles en même temps qu’une suspension, voire une interruption des missions pour certaines activités du groupe telles que celles d’Aubert et Duval intimement liées à l’aéronautique. Cette situation a été gérée au prix de discussions au cas par cas avec les prestataires.
Avec la reprise de l’activité, nous avons gardé l’idée de souplesse
« Avec la reprise de l’activité, nous avons gardé l’idée de souplesse, explique Maud André, Leadbuyer prestations intellectuelles chez Eramet. Il faut se comprendre, on ne peut pas demander à tous les salariés de venir sur site. » Dans l’air du temps, le télétravail possède aussi des atouts côté gestion des coûts, sachant qu’ils vont avec une réduction des frais de déplacement.
Un plus pour les besoins sur des sites excentrés
Ils peuvent également apporter une forme de réponse pour certains métiers en tension sur le recrutement pour les marchés d’assistance technique. Des tensions d’autant plus complexes à résoudre pour un groupe comme Eramet dont les sites sont très éloignés des bassins d’emploi, qu’ils soient en France (Pamiers, Clermont-Ferrand) ou ailleurs (Gabon, Nouvelle-Calédonie).
Pour la direction achats du groupe minier, le télétravail, réputé plus productif, modifie également l’approche contractuelle. « Auparavant nous avions souvent un mode de fonctionnement en régie et nous basculons de plus en plus au forfait parce que nous voulons plus de suivi. Nous poussons les donneurs d’ordres à regarder surtout les livrables », explique Maud André.
L’explosion des plateformes d’intermédiation
L’autre tendance qui a marqué les achats de prestations intellectuelles pendant la crise est l’ouverture aux plateformes d’intermédiation et de portage salarial. « Désormais, les plateformes sont bien comprises par les métiers et c’est une opportunité que nous avons saisie », explique Jean-Marc Orange, qui indique toutefois qu’il lui reste « à les segmenter en tenant compte d’usages spécialisés. »
« Le recours aux plateformes d’intermédiation nous permet d’avoir un seul interlocuteur, ce qui est très intéressant en termes de création de fournisseur », précise Maud André. Selon ses calculs, le coût de création d’un fournisseur dans l’ERP tourne autour de 1 500 euros, sans tenir compte du coût administratif de la gestion de la facture. Mis en balance avec ce chiffre, la commission d’une plateforme reste compétitive.
La part de marché des plateformes a été multipliée par deux en 2021
D’autant plus que les plateformes apportent des informations centralisées pour le pilotage des coûts et des prestations, notamment des fonctionnalités de benchmark sur les TJM. Elles permettent aussi de mettre à disposition des clients internes un catalogue de compétence. Enfin, elles fiabilisent le processus paie, ce qui, pour des indépendants est un enjeu clef.
« La part de marché des plateformes a été multipliée par deux en 2021 », confirme François Tourette, qui rappelle tout de même qu’il s’agit encore d’une niche de marche, réalisant entre 1,5 et 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel à mettre en balance avec les quelques 45 milliards d’euros de revenu des ESN.
Le management au défi du télétravail
Si le télétravail correspond globalement aux attentes des collaborateurs, il pose toutefois des questions côté managers. Ainsi toujours selon Coface, s’ils étaient 55 % à y être favorables en 2018, en décembre 2020, ils ne sont plus que 50 % dans ce cas. Une tendance que confirme, Marc Brunstein, VP de la chambre de commerce allemande en France et DG d’Ecocea Technologies, une ESN spécialisée e-commerce qui a effectué une enquête de satisfaction auprès de ses salariés. Si 100 % des collaborateurs en télétravail sont satisfaits de leurs responsables, 50 % seulement de ces derniers sont satisfaits de la relation avec ceux dont ils sont responsables.